Quels impacts sur les milieux naturels et la biodiversité ? Quels enjeux par rapport aux bouleversements climatiques et aux engagements de l’état en terme de réduction des gaz à effet de serre ?

Avec Maxime ZUCCA, ornithologue et membre du Conseil national de protection de la nature et Anthony OLIVIER, herpétologue travaillant à la Tour du Valat, animée par Virginie MARIS, chercheuse au CNRS et membre de Changeons d’Avenir.

I. IMPACTS SUR LA BIODIVERSITÉ

1. État des lieux global

Crise d’extinction massive : 28 % des espèces évaluées sont menacées au niveau mondial

Disparition paradoxale des espèces les plus charismatiques.

Déclin des espèces communes : 3 moineaux sur 4 ont disparu à Paris. Disparition et destruction des habitats dus à la culture intensives et l’artificialisation des sols….

2. Contexte méditerranéen

Le pourtour méditerranéen fait partie des 34 points chauds à préserver en priorité sur la planète.

3. État des lieux en Crau et en Camargue

Malgré les différentes protections pour protéger la biodiversité (Parc Naturel Régional de Camargue, réserves naturelles, zone Natura 2000) les études de Thomas Galewski et de Vincent Devictor montrent une baisse importante de la biodiversité en particulier les oiseaux. Les milieux naturels ont perdu 1000 ha de terre chaque année depuis 1990

4. Projet de contournement autoroutier

Le projet de contournement va augmenter la destruction de la biodiversité déjà très impactée. En particulier dans le secteur des marais de Meyranes et des Chanoines, zone de tourbières, de laurons. 21 ha d’intérêt communautaire vont être détruits.

L’inventaire de la DREAL en 2019 répertorie :

  • 108 espèces d’oiseaux dont 84 protégées (l’outarde canepetière, le crabier chevelu…)
  • 7 espèces de reptiles (le lézard ocellé)
  • Des batraciens (le crapaud épineux)
  • Des insectes (papillon, libellule odonate, diane)
5. Un enjeu spécifique : la connectivité

– Impacts directs : Les animaux se déplacent soit pour trouver de nouveaux territoires, soit pour migrer (ex: les batraciens, les papillons) soit pour s’alimenter (chauve-souris) ou se reproduire. Les barrières que constituent les constructions routières (autoroutes, voies rapides) vont impacter leur déplacement et leur survie. Ce contournement crée une deuxième barrière et une fragmentation du milieu en particulier pour les chauves-souris qui nichent en Camargue et hibernent dans les Alpilles.

– Impacts indirects : Bruit, collisions

– et encore plus indirects : Aménagement Foncier Agricole et Forestier (AFAF), extraction de matériaux, transport de matériaux et bilan carbone du chantier.

II. CONTEXTE RÉGLEMENTAIRE

La Camargue, un joyau de biodiversité, la mieux protégée de France, avec un parc naturel régional ancien, de grandes superficies classées en réserves naturelles (Les Marais du Vigueirat, la réserve de Camargue, la Tour du Vallat), de plusieurs sites Natura 2000 (du Grand Rhône , Marais de Crau…), site classé RAMSAR (zones humides d’importance internationale), réserve Man and Biosphère (UNESCO).

Le périmètre du Parc Naturel Régional de Camargue a ont été dessiné pour que l’autoroute puisse passer, cela avait été pensé …

1. Origines juridiques de la séquence, ERC : Éviter, Réduire, Compenser
  • Loi de 1976 : « supprimer, réduire, et si possible compenser les conséquences dommageables pour l’environnement » (article L.122-3 du code de l’environnement). Elle s’applique au projet, plan et programme soumis à évaluation environnementale.
  • 1985 : Directive européenne qui introduit la séquence ERC pour tous les états membres
  • 2009- 2010 : la séquence ERC est réaffirmée dans les lois du grenelle notamment à travers la réforme de l’étude d’impact.
  • 2012 : publication d’une doctrine d’application de la séquence ERC par le ministère de l’écologie
  • 2013 : publication des lignes directrices déclinant la doctrine ERC
  • 2016 : clarification et enrichissement de la séquence ERC en introduisant le principe d’action préventive

* Ce principe implique d’éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu’elle fournit, à défaut d’en réduire la portée, enfin en dernier lieu de compenser les atteintes qui n’ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées (article L110-1)

Le principe d’action préventive et de correction des atteintes à l’environnement se doit d’utiliser les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable.

Ce qui est important, la séquence ERC vise à l’absence de perte nette de la biodiversité. Les mesures compensatoires doivent se traduire par une obligation de résultats. Si la compensation n’est pas satisfaisante le projet ne peut pas être réalisé en l’état (ex : problème des tourbières).

2. L’évitement

Il existe 2 types d’évitement :

En amont, comparaison de deux tracés, selon une analyse multicritères (biodiversité, sociaux économiques…) en vue de trouver la moins mauvaise des solutions.

In situ au sein du projet : si on constate que des habitats particulièrement riches qu’on ne peut pas remplacer, le tracé doit s’adapter ou le contourner (ex : les tourbières).

3. La réduction

En phase de chantier, faire en sorte que le chantier soit le moins impactant possible (ex. : saisonnalité de l’abattage des arbres et respect de la période de nidification)

En phase d’exploitation : par exemple, en réduisant la mortalité des individus par la création de dispositifs de franchissement des infrastructures.

4. La compensation

Après avoir évité et réduit, on évalue la perte de biodiversité résiduelle. Si l’impact est significatif, il doit donner lieu à une compensation. La compensation doit viser une équivalence fonctionnelle (ex. : habitats semblables à ceux qui ont été détruits).

Suite à la destruction d’un site par le projet, on essaie d’améliorer l’existant sur un autre site (ex. : création de mares).

On n’a jamais de compensation en dés-imperméabilisation des sols.

Dans ce projet il y a des choses qui ne peuvent pas être compensées ; par exemple les marais de Raphèle sont installés sur une immense tourbière, écosystème uniques en France méditerranéenne, et qu’il n’y a pas d’équivalent ailleurs en Europe.

III. BOULEVERSEMENT CLIMATIQUE 

1. Les prédictions globales

Une augmentation des températures de plus de 2° semblait être un scénario qui permettait de respecter les conditions d’habitabilité, de bienêtre et de confort supportable. Ce scénario s’éloigne chaque année d’avantage du fait de l’augmentation des concentrations des gaz à effet de serre dans l’atmosphère.

2. Les engagements explicites
  • COP21
  • Loi climat-énergie
  • Engagement de l’Europe : 55 % de réduction d’émission de gaz à effet de serre par rapport à 1990 d’ici 2030

Ces engagements sont vitaux, particulièrement chez nous en Camargue : sécheresses, augmentation du niveau de la mer et crues.

Face à ces engagements qui ne sont pas respectés, un certain nombre de contentieux (saisie de la justice) ont été portés ou sont encore en cours :

  • URGENDA (Pays-Bas)
  • Acceptation du conseil d’État de la saisine portée par Grand-Synthe pour que l’État respecte ses engagements.
  • « Notre affaire à tous » un certain nombre d’associations qui saisissent le Conseil d’État pour imposer à l’État de respecter ses engagements.

Ce projet prévoit une augmentation constante du trafic

La justification et l’amortissement du coût carbone de ce projet reposent sur l’hypothèse d’une augmentation constante de la circulation de véhicules (avec +0,4 % par an pour les camions) pour les décennies à venir, misant tout sur de potentielles innovations technologiques qui permettraient à un plus grand nombre de véhicule de circuler sans aucune émission de CO2. Une telle projection est totalement déraisonnable. L’urgence est à la réduction de la circulation des véhicules personnels et des camions à travers des politiques ambitieuses en termes de report modal, et tout particulièrement sur le fret, et de développement des mobilités douces et collectives.

Ce projet de l’ancien monde répond essentiellement aux besoins actuels et futurs du Grand Port Maritime de Marseille (2018 : 1,15 millions de containers, prévisions en 2023 : 2 millions et en 2030 : 3 millions). Cette augmentation des gaz à effet de serre, ce coût carbone très important ici et dans les pays exportateurs, c’est une conception de l’avenir inacceptable, irréaliste et complètement décalée par rapport aux engagements de l’état en terme de réduction de gaz à effet de serre.


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