Avec la participation de Stéphane Coppey (FNE13) et Jean-March Rocchi (conseil de développement du Pays d’Arles), animée par Cyril Girard (Changeons d’Avenir).
75 800. C’est le nombre moyen de véhicules passant quotidiennement sur le pont de la RN113, dont 7000 poids-lourds. Dans le dossier de concertation, la DREAL indique que le projet de contournement autoroutier d’Arles vise à détourner le trafic de transit traversant la ville d’Arles pour améliorer la qualité de vie des habitants, créer une continuité autoroutière A8-A7-A54-A9 entre l’Espagne et l’Italie et pour contribuer au développement socio-économique local.
Bien que la concertation actuelle ne remet pas en cause la pertinence du projet ou le tracé, on est tout de même en droit de se demander si cette variante « sud Vigueirat » permet de répondre à ces différents objectifs annoncés et aux attentes des habitants.
L’objectif de la continuité autoroutière peut-être vite évacué, car elle ne concerne finalement que les transporteurs routiers. Le contournement peut-il être un atout économique ? La commune étant déjà connectée à l’A54, difficile de voir comment le déplacement du flux de transit, donc de véhicules ne faisant que passer, peut apporter une plus-value économique pour le territoire. On peut néanmoins se poser la question de savoir si l’A54 a eu un impact socio-économique local ? Au vu des diverses fermetures des grandes usines arlésiennes depuis 30 ans, on peut en douter. Seule la logistique se développe dans le territoire (St-Martin de Crau, Beaucaire, Garons,…) pour un modèle très discutable vu ses impacts sur les terres agricoles et naturelles, et son bilan global sur l’emploi.
Seul l’objectif d’améliorer la qualité de vie des habitants peut réellement faire débat. A commencer par celui sur les déplacements et leurs perspectives.
Il est malheureusement à signaler que dans les objectifs annoncés, contrairement au projet de liaison autoroutière Fos-Salon, il n’y a aucun objectif en termes de préservation de la biodiversité ou de lutte contre le changement climatique.
1. État des trafics actuels
(chiffres issus des documents de la DREAL consultables sur le site internet de la concertation)
75 800 véhicules par jour sur le pont de la R113 à Arles, dont 7000 camions.
40 300 véhicules par jour au péage d’EYMINY, dont 6000 camions.
En 2018, 78% des poids-lourds sont en transit. Ce taux est de 41% pour les véhicules légers. Les poids-lourds représentent 9% du trafic global au niveau d’Arles et 15% au niveau des péages.
Si les poids-lourds ont une lourde part dans les nuisances (pollutions atmosphériques, sonores, altération des infrastructures), les congestions sont principalement causées par les véhicules légers. Les charges de trafic horaires sur la RN113 présentent une forte variabilité en semaine et en saisonnalité. Il existe de gros pics horaires tels le vendredi de 16h à 18h ou les dimanches de 17h à 19h. Le flux d’écoulement du trafic est loin d’être uniforme, ce qui est un élément important à prendre en compte dans les réflexions à mener sur la pertinence d’un tel projet.
2. Perspectives des trafics et présentation du projet
La continuité autoroutière est vue pour aller plus vite et faciliter les échanges à travers le sud de l’Europe. Ce paradigme était compréhensible dans les années 1990, mais aujourd’hui aux vues des développements des divers ports méditerranéens, les échanges se font de plus en plus dans l’axe Sud-Nord.
Il souvent présenté que si rien n’est fait, le trafic ne fera qu’augmenter et que ces chiffres de croissance de trafic sont le nœud du problème. Pourtant, le problème ne se situe pas dans l’accroissement du trafic, mais dans ses contraintes d’écoulement. Le trafic n’est pas un fluide : selon les capacités données à tel ou tel endroit, les habitants vont prendre des habitudes différentes dans leur mode de déplacement (itinéraires, horaires…). Il n’y a rien de systématique.
Le modèle qui a servi pour établir les perspectives de circulation est celui de la neutralité carbone en 2050. Le constat établi sur l’augmentation du trafic des dix dernières années n’a aucune raison d’être reconduit pour les dix prochaines années. Il est par exemple envisagé une diminution des déplacements en véhicules légers (que l’on commence à constater) mais une augmentation constante du transport routier.
Selon les prévisions pour 2028, le contournement autoroutier serait emprunté par près de 43 000 véhicules. Mais il ne faut pas oublier qu’une grande partie de la population locale utilise quotidiennement la RN113. Selon les estimations de la DREAL, 29 600 véhicules par jour dont 900 camions continueront à passer sur le pont d’Arles. Ces 900 camions desserviront les différents entrepôts logistiques du territoire (sur Arles, Beaucaire, Garons), dont de nouveaux sont en projet, et cette circulation sera donc diurne. Un trafic plus important de camions sera ainsi observé sur la rocade d’Arles ou sur la RD15 entre Fourques et Beaucaire.
Il est peu fait mention dans les rapports officiels de ce déploiement incessant de la logistique dans le territoire arlésien et gardois engendrant toujours plus de camions sur nos routes secondaires.
Pour compenser la gratuité de l’autoroute entre Arles et Saint-Martin-de-Crau, il est prévu une augmentation du coût du péage aux barrières de péage. Celui-ci entrainera un phénomène de report de trafic sur d’autres voiries. Ainsi la RD6113 entre le rond-point du Vittier et Nîmes via Fourques ou la RD572 vers Saint-Gilles verront une très forte augmentation de leur trafic, alors que ces routes ne sont pas adaptées ou déjà saturées.
Il est à noter que le demi-échangeur de Raphèle ne sera pas conservé, ce qui entrainera un report sur les axes secondaires pour rejoindre Raphèle ou Mas-Thibert.
3. Requalification de la RN113 actuelle
Un argument mis en avant par les partisans du contournement autoroutier est la future requalification de la RN113 qui traverse la ville en boulevard urbain. Les élus de la majorité arlésienne misent sur cette requalification pour redynamiser la ville et les quartiers de Barriol ou des Semestres.
Quotidiennement près de 30000 véhicules dont 900 camions emprunteront le pont d’Arles. Ce chiffre est dans le cas le plus optimiste et dépend de nombreux facteurs difficilement modélisables (développement transports collectifs inter-cité, développement mobilité vélo, accroissement des livraisons en ville,…). Cet ordre de grandeur de flux est énorme. Est-ce qu’avec ce trafic en 2028 on peut requalifier la RN113 en boulevard urbain ?
Pour arriver à des chiffres qui font plaisirs aux décideurs, il a été mis des contraintes extrêmement fortes sur cette requalification. Lors des réunions de travaux initiées en 2019 par la DREAL il a été avancé que le tronçon Pont-de-Crau / Raphèle serait limité à 70km/h, ce qui semble inimaginable pour les utilisateurs. La traversée d’Arles se ferait, elle, à 50km/h. A cette vitesse, avec les différents aménagements (bretelles, rond-point), évacuer le flux non-continu de 30000 véhicules journaliers sera très difficile particulièrement aux heures de pointe. Le trafic sera alors régulièrement congestionné.
Réduire alors cet axe en 2*1 voie pour y incorporer des voies dédiées aux déplacements doux (bus, vélo) comme on nous le vend semble impossible. Lors des études réalisées pour la DREAL en 2019, il apparaissait qu’une requalification en 2*1 voie entrainerait systématiquement un fort report de circulation en ville et sur le pont de Trinquetaille, congestionnant le centre-ville et y faisant augmenter la pollution. Plus, on crée d’axes de circulation, plus on génère de trafic. Le contournement autoroutier de Montpellier ou la L2 à Marseille en témoignent.
Cela n’étant pas dans les prérogatives de l’État, cette requalification reposera sur les collectivités locales, ville et région (voire département si cette voie bascule en RD). A la lecture des rapports et à écouter les responsables de la DREAL, il semble se dessiner une certaine hésitation des services de l’État concernant la requalification ce boulevard, conscients de la difficulté de sa réalisation. C’est une interpellation supplémentaire : sans une correcte requalification de la RN113 ce projet fait-il sens ?
Or en restant en 2*2 voies, ce qui semble inéluctable vu le trafic annoncé, on rate l’objectif de requalification urbaine et également d’amélioration de la qualité de vie des habitants. On déplace une partie de la nuisance du moment. A 3km on n’éloigne pas la pollution ou le bruit, juste une partie. Si certaines zones habitées seront moins impactées par la pollution d’autres le seront plus. Barriol, les Semestre ou le Plan du Bourg seront ainsi enclavés entre une autoroute et une 2*2 voies. Peut-on alors parler d’objectif atteint? Ce qui importe à l’État est de réaliser cette continuité autoroutière, plus que la qualité de vie des arlésiens.
4. Perspectives territoriales
Ce projet de contournement autoroutier se présente au même moment que d’autres projets routiers : autoroute Fos-Salon, doublement de la RD268, LEO à Avignon…
Tous ces projets ont un impact très lourd sur les terres agricoles et naturelles, le contournement d’Arles en est le bouquet.
Le contrat d’avenir que la Région s’apprête à signer avec l’État semble assez navrant pour la transition énergétique et écologique. La plupart des modifications de budget portent sur plus d’investissements pour les projets d’infrastructures routières. L’ouest du département des Bouches du Rhône en porte la plus grande partie. Avec des budgets totalement disproportionnés dans une région qui a tant besoin d’investissements dans le rail ou dans le social. Comment justifier à l’échelle de la COP21 qu’on puisse oser prôner un tel projet ?
Doit-on favoriser le routier ? Peut-on imaginer des aménagements pour améliorer l’existant ? Comment mieux gérer le flux ? Il y a matière à discuter. Malheureusement la concertation actuelle, malgré l’évolution de la société et les crises que nous vivons en ce moment, ne le permet pas. Contrairement au débat public actuel sur la liaison Fos/Salon où les services de l’État ont pu remarquer à quel point les questions des différentes modalités (rail, fluvial) ont été mises en avant par les citoyens.