LA CRISE DE LA COVID CHEZ LES TRAVAILLEURS DÉTACHÉS, RÉVÉLATRICE D’UN MODÈLE AGRICOLE ANACHRONIQUE ET DANGEREUX, QUI ENRICHI LES INDUSTRIELS SUR LE DOS DES AGRICULTEURS ET DES PLUS PRÉCAIRES
L’échec de notre modèle agricole se mesure ainsi : disparition de la moitié des agriculteurs en 30 ans, revenus en grande baisse, désertification rurale, emploi toujours croissant de produits phytosanitaire. La liste est longue. La crise de la Covid a mis en lumière une pratique intolérable : l’emploi de travailleurs détachés.
La Politique agricole commune (PAC), premier budget de l’UE, se traduit différemment selon les pays. Ainsi, si en France les subventions sont très majoritairement dirigées vers le premier pilier (aides à l’hectare favorisant les grosses exploitations), l’Autriche a choisi de favoriser le second pilier (développement rural et critères écologiques). Chez nous, les grands gagnants de ce système sont toujours les mêmes : grande distribution, industrie chimique, épaulées dans leur démarche de lobbying par les syndicats agricoles comme la FNSEA.
La stratégie de la France a été pointée du doigt par un rapport de la Cour des Comptes européenne publié le 5 juin 2020, qui dénonce des mesures peu efficaces en matière d’amélioration de la biodiversité, et un suivi des dépenses peu fiable.
La PAC 2014-2020 n’est pas parvenue à inverser la tendance à la baisse que connaît la biodiversité des milieux agricoles depuis des décennies, et l’agriculture intensive reste l’une des principales causes de la perte de biodiversité.
Ces dernières années, le paysage agricole du pays d’Arles, et notamment en Camargue a amorcé une profonde modification. Au gré des cours du prix des céréales, certains grands exploitants ont abandonné la culture céréalière intensive pour du maraichage intensif, en particulier des tomates et des melons. Ce type de culture se fait à grand renfort de produits chimiques, associés au goutte à goutte, et génère également une pollution aux micros-plastiques. Contrairement aux cultures céréalières, celles-ci demandent beaucoup plus de personnel.
Ce personnel est en quasi majorité composé de travailleuses et de travailleurs détachés, sud-américains, marocains, sub-sahariens, employés par des sociétés espagnoles.
Si la pratique est légale, les abus sont très fréquents : travail 7j/7, 10 à 13h par jour, heures supplémentaires non payées, contacts sociaux limités, logements indécents… Les recours en justice contre ces contrats se multiplient. Les inspections du travail également. Plusieurs enquêtes ont eu lieu ou sont en cours : travail dissimulé, marchandage de main d’œuvre, harcèlement. Mardi dernier 16 juin s’est tenue au Tribunal des Prud’hommes d’Arles la nième session d’un procès, qui dure depuis 2017, de 5 travailleuses et travailleurs marocains qui dénonçaient leurs conditions de travail.
Aujourd’hui, avec la crise sanitaire que nous connaissons, les conditions indignes de logement et de travail de ces travailleuses et de ces travailleurs ont fait apparaître de nombreux foyers de Covid19 dans le Pays d’Arles au sein de ces travailleurs. La médiatisation de ces « clusters » a mis en lumière ce phénomène des travailleuses et travailleurs détachés, montrant ainsi un autre visage de l’agriculture industrielle.
A l’heure où l’UE réfléchit à la future PAC, il est extrêmement urgent de changer de système, que ce soit pour le bien de nos agriculteurs, des employés agricoles, des consommateurs et de notre santé. Cette transition ne peut être qu’écologique et sociale si l’on veut sortir l’agriculture d’un modèle industriel délétère et fortement inégalitaire. Cela nécessite du courage et les élus locaux ont un rôle à jouer, en aidant à une agriculture respectueuse des hommes et en dénonçant à la justice les abus, que ce soit des atteintes à l’environnement ou des atteintes à la dignité humaine.